La réalité est un leurre

- ÉPISODE 3 -

Je fus interloqué d’entendre sa voix, mais ce n’est que bien plus tard que je pris conscience qu’il parlait mon langage comme toi et moi. Ma première réaction fut de rester sur mes gardes, craignant que sa reddition ne soit qu’un leurre pour mieux contrattaquer par la suite. Il reste au sol, se frotte le museau du revers d’une de ses petites pattes supérieures qui au regard de celles qui le portent ressemblent à un moignon, une petite protubérance atrophiée. Il rompt le silence :

— T’as une droite du tonnerre, me lance-t-il sur un ton de connaisseur.

Je n’ai rien à lui répondre, si je ne m’attendais pas à une contre-offensive de sa part, je me pincerais afin de voir si je ne dors pas, baignant dans un de ces rêves loufoques où tout est permis d’imaginer.

— Tu peux te détendre, j’ai compris la leçon, la partie est finie pour moi, ajoute-t-il.

Puis d’un bond, il se relève et poursuit :

— Je m’appelle Kanye West et je suis enchanté de faire ta connaissance. Tu es le fils d’Alessandro ? L’homme qui vivait ici, il y a longtemps… Je ne l’ai pas connu, mais mon père l’a beaucoup côtoyé, il m’a souvent parlé de lui.

Nous passâmes la nuit sous la véranda à discuter de mon père ; ce soir-là, je ne baigne pas dans un songe fantaisiste, ma raison ne vacille pas et je n’abuse pas de boissons ou de champignons hallucinogènes. Je parle en toute simplicité avec un kangourou, comme je l’aurais fait avec un être humain lambda, sauf que lui se nomme Kanye West et le plus stupéfiant, nous échangeons des souvenirs que je pensais, jusqu’alors, être le seul à connaître.

Le lendemain matin, je me réveille seul, il a disparu. Le soleil se lève au-dessus de la grange, l’air est encore frais, mais la légère brise venant du désert ne tardera pas à le chasser et imposera sa chaleur suffocante. Ma soirée tourne en boucle dans mon esprit, je ricane, je devrais me mettre à écrire des romans, mon imagination est débordante, je m’interroge sur les origines de telles affabulations, ma vie est-elle si terne, que je sois obligé de m’en inventer une autre ?

Toujours est-il, que je me sens mieux, je revis, libéré de ce fardeau que je portais en arrivant, cause de mon départ précipité de la ville. Je reprends goût à mon existence, je me suis délesté de ce poids insensé qui, comme à chaque crise, me cloue au sol. Je retrouve cette estime de moi, je ne suis plus englué dans mes idées noires, morbides à souhait. C’est encore un peu sonné par cette nuit passée en compagnie de Kanye West que je décide d’écourter mon séjour à Réalito, ma femme me manque, j’ai besoin de sentir sa présence à mes côtés et surtout de lui raconter ma rencontre avec ce kangourou. Sans plus attendre, je décide de rentrer, la route sillonne dans la montagne, je prévois de manger à mi-chemin dans un motel que je connais bien et où les burgers ont leur petite réputation.

C’est à la sortie d’un virage que j’entends du bruit à l’arrière, sur le plateau du pick-up. Dans le rétroviseur, Kanye West me lance un clin d’œil, il a décidé de m’accompagner en ville.


[À suivre…]